J’ai 23 ans. Ce blog, ça fait déjà longtemps que je le rumine. J’aurais aimé le commencer plus tôt. Il y a cinq ans précisément, quand j’ai pris conscience que quelques soient les galères, quelques soient les déceptions, je ne pourrais jamais me pardonner de ne pas le tenter.

J’aurais bien aimé raconter par le menu toutes les choses qu’il a déjà fallu entreprendre pour en arriver là où je suis ; ce n’est pas grave, je ne suis pas au bout. Aujourd’hui il est grand temps, principalement pour deux raisons.

D’abord, je viens de demander un numéro d’affiliation afin de remplir ma première déclaration de travail. La Grande Galère vient officiellement de démarrer.

Parallèlement à cet heureux événement le MEDEF vient de proposer, dans le cadre des négociations globales sur l’assurance-chômage, la suppression pure et simple du régime d’intermittence.

Ce statut privilégié, injuste par ce que trop favorable, coûteux, bien trop coûteux en ces temps de crise (c’est vrai qu’au MEDEF on souffre bien de la crise, qu’on est les mieux placés pour en parler). Ce statut dont on rêve tous, nous les jeunes. Ce statut bizarre qui nous permettra, après avoir bossé comme des brutes pour obtenir ce saint Graal, d’être considérés comme chômeurs. Et les vieux du métier qui nous disent qu’on est inconscients, qu’on l’aura jamais, que quand bien même c’est pas avec ça qu’on pourra vivre. Ce statut ça fait cinq ans que j’en rêve et alors qu’à ma propre stupéfaction j’ai enfin la possibilité de l’avoir d’autres veulent le supprimer.

Je voudrais simplement  contrer les discours voulant nous faire passer pour des profiteurs ou des feignants (chiffres à l’appui) en racontant de l’intérieur ce que c’est de devenir musicien. Vous parler des galères des déceptions et des angoisses, mais aussi des espoirs, et des joies intenses que me procure la musique. Du besoin frénétique qu’il y a de faire sortir toutes les choses qui pulsent dans ma tête. Vous raconter comment on se sent, quelques secondes avant la scène.

C'est donc bien moi, à 4 ans et demi...

C’est donc bien moi, à 4 ans et demi…

Avant de rentrer dans ce qui est l’objet de ce blog, (la narration des étapes de la professionnalisation d’un musicien) je voudrais prendre le temps de donner quelques éléments de réponse à cette question que je me pose fréquemment depuis plusieurs années: qu’est-ce qui a fait que j’ai choisi la musique plutôt qu’autre chose? Et aurais-je pu m’en passer?

La musique est quelque chose qui fait partie de manière inextricable de ma vie depuis toujours. J’ai commencé la guitare à un âge où je ne savais pas encore lire et depuis je n’ai jamais cessé. Pour autant, en faire mon activité principale n’a jamais été quelque chose d’évident. Je n’ai pas d’aptitude particulière pour ça. Je ne dis pas cela par fausse modestie mais parce que c’est un constat que j’ai fait souvent et que l’accepter a été l’une des principales gageure du début de ma vie d’adulte. Si je n’ai jamais douté d’avoir des dispositions naturelles pour la création en général, la pratique de la musique n’est pas quelque chose qui m’est facile.

C’est aux alentours de 16 ans qu’à l’occasion d’un stage de musique j’ai pris conscience que si la précocité de mon éveil instrumental m’avait donné une certaine avance, elle pouvait sans mal être balayée par quelqu’un ayant plus de dispositions. Ca a été confirmé l’année suivante quand j’ai rencontré pour la première fois quelqu’un de réellement doué, qui en 3 ans avait fait plus de chemin que moi en 10.

J’ai pensé renoncer à plusieurs reprises, à ce moment là comme à d’autres, plus tard, quand le travail effectué semblait vain, mais même si j’ai souvent pensé à faire autre chose je n’ai jamais pu complètement abandonner l’idée d’en faire une activité à temps plein.

La musique est un art de l’instant, une performance. Elle est le meilleur moyen que j’ai trouvé d’à la fois alimenter et tarir mon besoin d’expression permanent. Sa pratique quotidienne est une hygiène de vie incomparable et, dans les rares moment où nous savons oublier nos imperfections pour n’être plus qu’un médium artistique,  un dévoilement complet de soi même, sans possibilité de retour. Elle est aussi, dans la mesure ou elle transcende la communication verbale, le moyen le plus direct d’aller vers l’autre malgré nos divergences, et le public, quoique différemment, fait exactement la même expérience de son côté de la scène que le musicien du sien. Je sais pour l’avoir vécu que cette expérience là est aussi importante pour l’un que pour l’autre.

C’est pour cela que j’ai continué, et c’est devenu un besoin. Je ne pense pas que ça l’était naturellement;  je pense que j’avais en moi depuis tout petit celui de m’exprimer et que j’ai incarné ce besoin dans la pratique musicale, mais aujourd’hui il est clair que je ne pourrais plus faire autre chose. Un travail qui ne soit pas musique ou création me déprime, me met mal à l’aise et me frustre, et je sais qu’hors de la sphère créatrive je ne trouve pas ma place. Dans ma pratique quotidienne je suis un acharné pouvant passer plus de 10 heures par jour sur un instrument, mais l’an dernier en 9 mois d’arrêt forcé de la musique suite à une blessure je n’ai pas été capable de travailler plus de deux jours.

Aujourd’hui je suis à même d’en faire mon métier. Je ne demande rien de plus. Je n’ai jamais espéré être célèbre pour ce que je fais; tout ce que je veux c’est que l’on reconnaisse qu’il s’agit d’un bien d’un métier et non pas d’une élucubration de feignant, gauchiste et hippie (et pourtant…). C’est au contraire un combat permanent contre moi même, exactement comme pourrait l’être la pratique d’un sport à haut niveau, et qui demande de se mettre à chaque moment en danger.

C’est pour tout ces raisons je pense qu’il est du devoir de la société que de nous donner le cadre nécessaire à cette activité.

Parce qu’il ne s’agit même pas pour l’instant d’une question financière, pas plus que d’une question éthique. Il s’agit, pour toutes les personnes qui sont concernées par la question du spectacle vivant (qu’il s’agisse de sa pratique ou de sa contemplation) d’une question de santé publique.

N.B.: Si ce que je dis ici concerne la pratique musicale uniquement, parce que c’est celle que je connais, il est bien évident que cela vaut tout autant pour n’importe quelle discipline artistique et que je ne fais pas de distinctions d’importance entre elles.